Deuxième partie



M u s i q u e   R e l i g i e u s e

Temps Modernes

Auxerre





          Lorsque le moyen-âge finit, depuis longtemps le besoin d'une réforme liturgique avait frappé tous ceux qui cultivaient la musique sacrée. On profita, pour la tenter, de l'occasion qu'offrit alors la découverte de l'imprimerie. En effet, il était fort naturel de revoir les livres d'église et d'en corriger le chant avant de les livrer à l'impression.
          En 1552, le cardinal de BOURBON, archevêque de Sens, fit imprimer et publier l'antiphonier plénier de son église. Le soin des corrections musicales avait été confié à un savant chanoine nommé Jean COUSIN ; mais, malgré ses efforts et malgré les éloges que ses contemporains lui prodiguèrent, son travail laissait beaucoup à désirer.
          Ceux qui, à Auxerre, retouchèrent les chants sacrés furent encore moins habiles. L'abbé Léonard POISSON se plaint amèrement de leur goût baroque. Au lieu d'améliorer ce qui existait, ils contribuèrent à l'altérer d'avantage, et rendirent plus difficile la tâche de ceux qui vinrent après eux.
          Vers ce temps, Jacques AMYOT, notre célèbre évêque, donnait aux études musicales une impulsion nouvelle. Très souvent, son palais épiscopal devint l'asile des artistes. Les historiens ajoutent que c'est aux concerts qui s'y donnaient, qu'Edmé GUILLAUME, chanoine auxerrois, fit les premiers essais du serpent, dont il passe pour être l'inventeur. J'avoue que cette découverte peu brillante, hélas, pourrait cependant nous être contestée car on trouve dans les comptes de la fabrique de l'archevêché de Sens, pendant les années 1453 et 1454, ces mots "Ressoudé le serpent de l'église et mis au point un lien de laiton, qui tient le livre...". Si le serpent existait à Sens, en 1450, il est difficile qu'Edmé GUILLAUME l'aît inventé ici, cent ans plus tard.
          Au XVIIème siècle, l'église d'Auxerre eut deux maîtres de chapelle fort renommés. L'un d'eux surtout, Annibal GANTEZ mérite de fixer l'attention par son originalité. Il s'est chargé de nous raconter lui-même son histoire.
"J'étais, dit-il, parti de Marseille (son pays) tout plein de
"bonne opinion, car le proverbe étant que les provençaux sont les
"plus naturels médecins et musiciens, je croyais faire la leçon à
"un chacun et enseigner Minerve. Mais je vous assure que j'ai bien
"trouvé soulier à mon point et des gens qui ne se mouchaient pas
"du pied.
"Il faut avouer que ceux de notre pays ont bien plus d'air en leur
"musique, mais ceux de celui-ci ont plus d'art en la leur, encore
"qu'il me semble que l'un n'est pas bon sans l'autre ; car, en ma-
"riant l'art avec l'air, il y a de quoi contenter chacun."
          GANTEZ chercha longtemps à utiliser ses talents musicaux. Les savantes écoles du moyen-âge avaient été remplacées par les maîtrises. Chaque église avait son maître de chapelle, et parfois ce titre était fort lucratif et fort ambitionné. Aussi, les musiciens du temps couraient toute la province pour trouver une maîtrise importante. Ils allaient, le soir, demander l'hospitalité soit à leurs confrères, soit aux curés et aux chanoines ; puis, le lendemain, ils se remettaient en route. On appelait cela vicarier.
"Ah ! s'écrie GANTEZ, que c'est une pauvre chose de vicarier
"sans argent !... Ma bourse ayant failli, il m'a fallu coucher au
"serein crainte de laisser mon manteau au cabaret, et par ce moyen
"faire le noviciat des filous, lesquels font coucher sous la cape
"du ciel ceux qui veulent être reçus dans leur bande, afin de les
"accoutumer à la fatigue et à l'incommodité. Dans cet état, ce ne
"fut pas les puces qui m'empéchèrent de dormir, mais faute de
"n'avoir soupé, étant impossible de reposer si le ventre n'est sa-
"tisfait."
          Du reste, toutes ses aventures ne l'empéchaient pas de cultiver la musique. On en jugera par cette anecdote, qu'il raconte :
"Après avoir déjeuné chez un curé, la pluie me saisit si fort
"dans les montagnes du Limousin, que je ne savais de quel bois
"faire flèche, ni à quel saint me recommander. Néanmoins, étant
"éloigné des retraites, j'eus recours au ciel ; et, après avoir
"dit toutes les prières que je savais par mémoire, je composai en
"musique un psaume de David qui me sembla venir à-propos.
"Salvum me fac Dominus, quonium intraverunt aquos esque animam meam"."
          Après de nombreuses traverses, GANTEZ finit par obtenir ce qu'il souhaitait, c'est-à-dire une bonne maîtrise.
"En celà dit-il j'ai fait comme la palme et le laurier qui
"résistent à la tempête et comme le safran qui plus il est foulé,
"mieux il croît : Dieu m'ayant asisté, puisque je possède une des
"meilleures et des plus honorables maîtrises du royaume, qui est
"celle d'Auxerre."*

* La maîtrise d'Auxerre n'était pas seulement très honorable, elle offrait des avantages matériels, et GANTEZ ne les oublie pas.
"Entre les maîtrises, la première sorte est celle où l'on vit 'en communauté avec les prêtres', comme dans St Paul à Paris, Marseille, Arles, Aiguemortes et Carpentras. La seconde est celle 'où les enfants sont ici avec le maître', ici en communauté, comme à St Jacques-de-l'Hôpital à Paris, Valence, Grenoble et le Havre-de-Grace. La troisième est celle 'où les enfants sont nourris avec le maître par procureur', (et la meilleure est celle 'où le maître nourrit les enfants', comme à St Innocent de Paris, [Auxerre], Montauban, Avignon et autres)"
On conçoit, en effet, que dans ce dernier système le maître joignant en quelque sorte les fonctions d'économe à celles de maître de chapelle, devait retirer de ce cumul d'importants bénéfices.

          GANTEZ pu alors se livrer en paix à son goût pour les lettres et pour les arts. Il y était encouragé par le patronage de l'évêque Pierre de BROC, grand amateur de musique, et par la fréquentation d'artistes distingués, tels qu'Antoine DOREMIEUX, célèbre organiste, amené par Pierre de BROC lui-même.
          Il publia diverses compositions musicales et entre autres plusieurs messes. Mais ces compositions durent nécessairement se ressentir de l'esprit léger et aventureux de leur auteur. D'ailleurs, GANTEZ était peu scrupuleux : ce qu'il cherchait avant tout c'était le succès. Il composa une messe dans le temps que Louis XIII envoyait des secours à Candie. Pour mettre son œuvre à la mode, il arrangea son "Kyrie eleison" sur l'air de la chanson :
"Allons à Candie, allons", que l'on avait faite à cette occasion, et que tout le monde répétait sans cesse. Il publia aussi un petit livre ayant pour titre :

 
 

"L'entretien des musiciens";
"Par le sieur GANTEZ, prieur de la Madeleine, en Provence, chanoi-
"ne semi-prébendé, maître des enfants de choeur et de la musique,
"en l'église insigne et cathédrale d'Auxerre. (A Auxerre, chez Jacques Bouquet, 1643)" **
Cet opuscule a fixé l'attention d'historiens fort recommandables, et il le mérite à certains égards, car on y trouve des détails extrêmement curieux sur la musique et les artistes du temps : le tout dans un style peu correct mais piquant et original.
          Quant à savoir ce que pensaient de GANTEZ ses contemporains, on peut lire ces vers de Gabriel BROSSE, poète auxerrois :
                     Esprit sans égal et sans prix
                     Dont les admirables écrits
                     M'ont su charmer, sans me surprendre ;
                     Gantez, qui connais mon pouvoir
                     Et les honneurs qu'on te doit rendre,
                     Dispense un ignorant de vanter ton savoir.

 
 

          Après Annibal GANTEZ, vint Jean CATHALA qui fut maître de musique à l'église cathédrale d'Auxerre, vers la fin du XVIIème siècle (Fétis, Dict.biog. V J.Cathala). C'était aussi un homme distingué, dont on a conservé plusieurs compositions parmi lesquelles cinq messes. L'une de ces dernières ne contient pas une seule note blanche, et porte pour épigraphe : (Nigra sum ; sed formosa). On voit que GANTEZ n'avait pas seul le monopole des bizarreries musicales.
          (On a peine à croire combien la musique religieuse était soigneusement cultivée à Auxerre, dans le XVIIème siècle, au temps de GANTEZ et de CATHALA. Il y avait des orgues dans presque toutes les grandes églises : à St Etienne, à St Pierre, à St Eusèbe, à St Germain, à St Marien. Il y en avait même dans les abbayes, aux Jacobains, par exemple. Celles de St Marien, construites en 1639, furent refaites dès 1677, par des facteurs de Troyes.)

**Il est dédié à Pierre de BROC, et l'auteur explique lui-même à l'évêque les motifs de sa publication et de sa dédicace.
"Monseigneur, ce n'est pas vanité d'exposer au public que j'ai composé ce petit traité ;
"mais pour éviter l'oisiveté, laquelle j'estime si dangereuse, que j'aimerais mieux dormir
"(ainsi que disait un gentilhomme bourguignon), que de ne rien faire... néanmoins,
"parce que les premières de toutes choses sont dues à Dieu et à ses lieutenants en terre,
"je ne sçaurais, monseigneur, esviter de l'offrir à votre grandeur, puisque vous êtes
"son pasteur et bienfaiteur et que je suis votre créature, par un bénéfice que votre bonté
"vient tout fraichement de me donner. D'ailleurs, après avoir considéré que ce livre s'adresse
"aux chantres, il m'a semblé ne pouvoir rencontrer un meilleur protecteur, puisque vous avez
"un si grand amour pour les musiciens, que "presque toute votre maison en est composée."

          Nous arrivons maintenant au XVIIIème siècle, et tout d'abord nous rencontrons le nom de l'Abbé LEBEUF. A Dieu ne plaise que je retrace ici les détails d'une vie bien connue : cette tâche a été accomplie par deux de nos collègues, d'une façon qui ne laisse rien à désirer. Quelques mots seulement sur les services que l'abbé LEBEUF a rendus à la musique.
          On sait qu'il avait étudié le plain-chant à l'église de St Regnobert, où il se format à l'état ecclésiastique. Plus tard, il reçut à Paris les leçons et les conseils de l'Abbé CHASTELAIN. A peine âgé de 16 ans, il fut appelé dans le diocèse de Lisieux pour y réformer les chants sacrés, et il acquit, dans cette œuvre difficile une immense réputation.
          Aussi, quand M de VINTIMILLE voulut donner à son église un nouvel antiphonier, ce fut à l'abbé LEBEUF qu'il s'adressa. Son travail, commencé en 1734, fut publié, dès 1736, bien qu'il comportât 5 volumes in-8°.
          Il suffit de lire certains écrits de l'abbé LEBEUF, pour s'assurer combien la musique moderne avait flatté son esprit, et combien cette influence a du nuire, dans son antiphonier, à l'exacte reproduction du plain-chant primitif.
"Ce serait dit-il une injustice de ne pas reconnaître que
"le goût supérieur de la musique d'aujourd'hui fait naître, dans
"l'esprit de ceux qui enfantent du plain-chant, de certains pro-
"grès de voix et de certaines mélodies qui ont leur douceur par-
"ticulières ; qu'il y a des tours gracieux qui ne peuvent être sug-
"gérés que par des organes qui ont été souvent rabattus de sons a-
"gréables et affectueux." (Traité hist. et prat. Du plain-chant).
          De cette phrase résulte évidemment que l'abbé LEBEUF n'a pas toujours compris la différence profonde qui doit séparer le plain-chant de la musique moderne. L'un n'a rien à gagner au progrès de l'autre. Chacun a son caractère, ses règles, sa tonalité ; et le but des véritables artistes doit être de maintenir une distinction aussi essentielle, plutôt que de l'effacer par une confusion fâcheuse.
          On a aussi reproché à l'abbé LEBEUF d'avoir nui à la popularité du plain-chant. C'est qu'en effet, au lieu de conserver les mélodies syllabiques des anciens compositeurs, qui se distinguent par leur simplicité, leur naïveté, et se gravent aisément dans toutes les mémoires, il les a surchargées de notes, de tirades qui les alourdissent et en détruisent l'originalité.
          Quel a été le motif d'une telle altération ? LEBEUF nous l'explique par ces mots :
"Ceux qui voudront dire la vérité fondée sur l'expérience,
"conviendront qu'il est plus facile de faire rouler la voix, et
"s'accorder à l'unisson dans les pièces un peu chargées de notes
"et de tirades à degrés conjoints, que dans les pièces notées
"syllabiquement d'un bout à l'autre."
          Ainsi l'abbé LEBEUF s'est préoccupé des difficultés d'exécution. Il a sacrifié la musique aux commodités des chanteurs. Mais en cela même, il s'est trompé. Car, dans la musique d'église, les chanteurs ce sont tous les assistants, et, en général, les masses ne retiennent bien que les mélodies simples et sans tirades. Toutes les mélodies populaires sont là pour en faire foi.
          Je ne reproduis ces diverses critiques que parce qu'elles sont aujourd'hui consacrées par la science, et que la gloire de notre illustre compatriote est encore assez belle pour n'en point souffrir.
          Elles ont été formulées par Dom GUERANDEZ et par M DAUJOU, savant organiste, qui a passé sa vie à étudier les anciens monuments de la musique sacrée, et qui a découvert l'antiphonaire grégorien de Montpellier.
L'abbé LEBEUF dit-il (Revue de la musique religieuse, mai
"1846) sur l'invitation de M. de VINTIMILLE, archevêque de Paris,
"eut le courage de compléter l'oeuvre de destruction commencée par
"l'abbé CHASTELAIN et de recomposer un nouveau chant qui fut fa-
"briqué en peu d'années. L'abbé LEBEUF était un homme instruit, le
"plus instruit peut-être de ceux qui ont ensuite imité son vanda-
"lisme ; mais la science même qu'il possédait est une circonstance
"aggravante de plus dans le procès que la postérité lui intente,
"et qui se terminera, s'il plait à Dieu, par une condamnation sans
"appel."
          Au reste, les fautes commises par l'abbé LEBEUF sont plutôt imputables à son époque qu'à lui-même. Le XVIIIème siècle ne se prêtait guère à ces restaurations consciencieuses, si fréquentes de nos jours, où l'artiste moderne s'efface et s'annule derrière l'artiste ancien, pour faire revivre la pensée de celui-ci dans toute son intégrité. C'était un siècle trop saillant, trop vigoureux, trop original, pour ne pas laisser son emprunte, bonne ou mauvaise, à tout ce qu'il touchait. Alors, un architecte chargé de réparer une église gothique y adaptait l'architecture en vogue, et tout le monde applaudissait à cet embellissement. L'abbé LEBEUF a fait de même pour la musique sacrée, il a suivi la pente générale, ou du moins il n'a pas su résister, autant qu'il l'eut voulu, à l'entraînement de son époque.
          La preuve de cet entraînement est que ses contemporains ont été bien moins sévères pour lui que pour les nôtres. Il eut de son temps la réputation de premier liturgiste et du plus habile compositeur de musique sacrée : si bien, qu'
"il ne s'est pas fait en France, (disent ses biographes)de
"1730 à 1760, un seul changement dans les livres de chant d'église
"sur lesquels il n'ait été consulté."
          Ajoutons, comme un détail de sa vie intime, qu'il se montrait fort jaloux de sa supériorité et de son influence. Un sieur Cousin de COUTAMINE, ayant fait paraître, en 1749, un livre sur le plain-chant (dédié à l'abbé POISSON), y attaqua les doctrines musicales de l'abbé LEBEUF et fit même précéder son ouvrage d'une vignette allégorique représentant un boeuf piqué sur un cousin. Notre illustre compatriote fut très offensé d'une pareille attaque, et il en écrivit à l'auteur avec la plus grande vivacité.
          Ce qui, d'après nous, constitue le principal titre de l'abbé LEBEUF à l'estime et à l'admiration des musiciens, ce sont ses innombrables recherches, dont le Mercure de France conserve mille traces ; ce sont ses dissertations sur l'état des sciences et des arts au moyen-âge ; c'est surtout son traité historique et pratique du plain-chant (il paraît, cependant, que la partie historique est seule due à l'abbé LEBEUF ; la partie didactique est de l'abbé CHASTELAIN. LEBEUF n'a fait que la revoir et l'éditer).
          Quel que soit le savoir des historiens récents de la musique, ils en sont toujours réduits à citer l'abbé LEBEUF. On peut s'en assurer en lisant les travaux de M. FETIS ou ceux de M. DANJOU. A chaque pas, ils s'appuient de l'opinion d'un homme qu'ils critiquent parfois, ainsi que nous l'avons vu, mais qu'en définitive ils respectent.
          D'après M. FETIS, son traité historique est, avec celui du P. JUMELHAC et celui de l'abbé POISSON
"ce qu'on a publié de meilleur en France sur le plain-chant."***
Un pareil éloge dispense de tout commentaire.

***V. FETIS, Dict. V° Léonard POISSON.-M. FETIS indique seulement la date de naissance de l'abbé POISSON, et en omet le lieu. L'abbé POISSON est né à Cerisiers. (Registre des collations de Bénéfice, archevêché de Sens. Lettres de tonsure du 18 décembre 1716).

          Après la mort de l'abbé LEBEUF, et jusqu'à la révolution française, l'Eglise d'Auxerre ne produisit plus aucun musicien célèbre. Néanmoins, la musique sacrée continue d'être en singulier honneur.
          Deux états dressés, l'un en mars 1767, l'autre en octobre 1790, constatent que la chapelle de musique était la principale charge du chapitre d'Auxerre.****
          On peut lire dans le dernier de ces états les noms et les services de ceux qui la composaient, lorsque la révolution vint dissoudre le chapitre et les institutions qui s'y rattachaient.
          Ces noms modestes, ignorés maintenant, terminent la liste des hommes qui dans notre pays, consacrèrent leur vie au culte de la musique religieuse. Sous ce rapport, ils sont dignes d'un certain intérêt, et j'ai cru devoir les transcrire, tels que les a mentionnés M. ASSELINE, chanoine, secrétaire du chapitre :
                     "Bas choeur"
• Edme CHAPPOTIN, maître de musique est au service de la compagnie depuis 1734. Agé de 66 ans ;
Joseph PALAIS, organiste depuis 1734. Agé de 85 ans ; ¹
• Bonaventure BONNOTE, au service de la compagnie depuis 1756. Agé de 56 ans ;
• Pierre JOBARD, d'abord enfant de choeur à la cathédrale de Troyes, pendant 10 ans ; au service de la compagnie depuis 1773. Agé de
                     40 ans ;
• Nicolas GELIN, a été 6 ans basse-contre à Troyes ; au service de la compagnie depuis 1771. Agé de 47 ans ;
• Pierre CAMPENON, au service de la compagnie depuis 1785. Agé de 33 ans ;
• Edme-Hubert PINON, au service de la compagnie depuis 1760 jusqu'en 1779. Depuis 1779 jusqu'en 1787 au service de l'église collégiale de
                     St Etienne de Troyes. A été de nouveau au service de la compagnie en 1787, comme musicien concordant. Agé de 38 ans ;
• Pierre LECOUTEUX, au service de la compagnie depuis 1788. Agé de 24 ans ;
• J-B GOUSSE, au service de la compagnie depuis 1776. Agé de 24 ans.

****En 1790, les charges du Chapitre s'élevaient à 13,390 liv 16s 10d.
Voici maintenant ce que coûtait la chapelle de musique :
"Le Chapitre paye au Me de musique 70 liv p. mois, ce qui fait
 par an..................... 840
"Plus, 84 bichets de bled froment, évalués 6 liv le bichet
 ci......................... 503
"Le dit maître de musique jouit en outre d'une semi-prébende
"Paye à JOBARD serpent, à raison de 10 liv par semaine... 820
"A 4 basse-contre et une taille, à raison de 10 liv par
 semaine................... 2,600
"Au sieur GOUSSE, clerc de choeur et aute-contre......... 98
"Aux 6 enfants de choeur, à raison de 24 liv l'an........ 144
"Il est bon de préciser que le Chapitre ne fournit pas l'habil
 lement desdits enfants de choeur."
          Le Chapitre payait, en outre, des pensions de retraite à quelques musiciens.
Ainsi, en 1790, une de 60 liv à CHARTIER, ancienne basse-contre.
          Je ne sais pas pourquoi l'organiste ne figure pas sur cette note.
Ses honoraires, en 1767, étaient de 7 liv par semaine, à raison de 52 semaines,
 ci.......................... 364
¹Il avait été précédé par un nommé CHATELAIN reçu organiste le 4 novembre 1732 ; lequel avait lui-même succédé à CACHEUX, mort le 21 septembre de la même année.

          Suivent les noms de six enfants de choeur, après lesquels cette mention :
• René PRUNELLE, musicien depuis 1758. Agé de 58 ans. Il eut du chapitre la somme de 1200 liv., il y a quelques années, et il est resté attaché à ladite église, dans laquelle il dessert encore, en la même qualité de musicien.
          On voit que la chapelle d'Auxerre, dans les dernière années du XVIIIème, comptait encore un nombreux personnel, vieilli pour la plupart dans la carrière musicale.*****
          Mais ce qui est surtout remarquable et ce qu'on ne peut trop signaler à l'émulation du clergé actuel, c'est le soin avec lequel cette chapelle avait été composée et la surveillance dont elle était l'objet.
          Les registres capitulaires qui sont venus jusqu'à nous ne fournissent presque pas de délibérations, où l'on ne s'occupe de la musique religieuse et des musiciens chargés de l'interpréter.
          S'agit-il de nommer une basse-taille ou une basse-contre, on s'enquiert de toutes parts, on prend des informations ; on essaie, et on n'admet le sollicitant qu'après un long examen ; ensuite on l'admoneste, on tâche de le fortifier.
          Ainsi, j'ouvre le registre des délibérations capitulaires de l'année 1785******. Un sieur CAMPENON de Vaux, qui figure encore sur l'état de 1790, demande à être admis comme basse-contre. Le 1er février, le chapitre ordonne que l'on prendra des renseignements sur ses moeurs et qu'on fera examiner sa voix et sa science dans le plain-chant. Le 14 février, on décide qu'on le fera venir de Paris où il se trouve alors. Cependant, si on n'est pas content, on se réserve de le renvoyer. Le 4 mars, délibération ainsi formulée :
                     "Messieurs ont permis au nommé CAMPENON, qui s'est fait an-
"noncé pour être reçu en qualité de basse-contre, de venir au
"choeur en habit de laïque, jusqu'à mercredi, et afin que l'on
"puisse juger de sa voix et de sa science dans le plain-chant, ils
"ont ordonné que demain il chantera seul l'Offertoire de la messe
"du choeur. Mesdits sieurs, se proposant de se décider, au jour
"indiqué ci-dessus, à l'admettre ou à le renvoyer, et autorisant
"M. LE COQ à lui payer demain une semaine, ainsi qu'aux autres<
"basse-contre, comme s'il l'avait déjà gagnée."
          Le 9 mars, nouvelle délibération :
"D'après les épreuves auxquelles a été soumis le nommé
"CAMPENON, il a été reconnu qu'il était propre à remplir les fonc-
"tions de basse-contre dans cette église, et en conséquence, mes-
"sieurs ayant conclu de le recevoir aux gages ordinaires de 10
"liv. par semaine, payables d'avance, ils ont ordonné qu'il serait
"installé demain au choeur par MM les secrétaires selon l'usage,
"mais qu'il lui serait recommandé d'aller prendre des leçons de
"plain-chant à la maîtrise afin de se fortifier, et de se confor-
"mer exactement aux obligations des commis-musiciens, dont MM les
"secrétaires ont été chargés de lui donner le détail, qui sera re-
"levé du protocole des chapitres généraux."
          Il paraît que CAMPENON négligea de suivre les recommandations du chapitre, car, le 30 juin, on lui ordonna de prendre des leçons sous peine d'être renvoyé, et en attendant on décide qu'un nommé DELAFESTE devra toujours assister à l'église quand un autre chanteur, GELIN, n'y sera pas, afin qu'il y aie toujours quelqu'un pour guider CAMPENON.

*****Souvent aussi le Chapitre admettait des musiciens étrangers à chanter à l'église, et on leur payait une gratification.
******Aux Archives Départementales.

          Dans cette même délibération, on s'occupe de ne jamais faire chanter ensemble ceux dont les voix ne s'accordent pas parfaitement. Ainsi CAMPENON ne devra jamais chanter avec CHARTIER.*******
          S'agit-il du choix d'un enfant de choeur, les choses se passent encore plus solennellement. On annonce qu'un concours sera ouvert (Délibération du 11 juillet 1785). On règle les conditions d'admissibilité. (Délib. du 22 juillet). On nomme quatre chanoines pour faire un premier choix (Délib. du 6 août). Puis enfin, le concours définitif a lieu et l'enfant de choeur est admis (Délib. du 16 août).
          Alors on se charge de l'instruire : c'est d'ordinaire la tâche réservée au maître de chapelle. Quelquefois cependant on la partage entre ce dernier et un autre membre du bas-choeur, à qui l'on impose cette obligation (Délib. du 12 août 1785).
          Voilà comment on parvenait à obtenir une chapelle de musique renommée par toute la France ; voilà par quels soins on y maintenait les bonnes traditions musicales.
          Espérons que de pareils exemples ne seront pas à jamais perdus, et qu'un temps viendra où la musique sacrée trouvera encore, dans notre pays, des interprètes dignes de Rémy d'AUXERRE ou de l'abbé LEBEUF.
          Déjà quelques efforts ont été tentés. Il y a quelques années, un homme, dont l'instruction primaire conservera longtemps le souvenir, M. CHENET, publia un petit traité******** dans lequel il a cherché à populariser l'étude de la musique en général et celle du plain-chant en particulier. On y trouve tous les principes de l'art développé avec une ingénieuse méthode.
          La route est ouverte. C'est aux instituteurs, c'est surtout au clergé de la frayer et d'y attirer de nombreux disciples. Qu'il se rappelle ces belles paroles d'un Père de l'Eglise
"A dire vrai, la Musique est la Voix de l'Epouse du Fils de
"Dieu ; c'est l'Harmonie de l'Eglise dans les Cantiques ; c'est la
"Mère de la Pudeur, la Compagne de la Tempérance, l'Aiguillon de
"la Vertu et l'Attrait de la Dévotiion, en tant qu'Elle est toute
"Divine, toute pleine d'oracles et de sacrés enthousiasmes."*********

Aimé CHEREST
                                                                                                         Avocat.

*******En 1786, le Chapitre admit au nombre de ses musiciens, un nommé PONCHARD, qui s'engagea, par déclaration écrite, à ne plus jouer dans les théatres (Registres capitulaires, 3 mai 1786). De là, sans doute, cette opinion généralement accréditée, que le célèbre PONCHARD avait fait partie de notre chapelle de musique. Mais PONCHARD, aujourd'hui professeur au Conservatoire National, est né le 8 juillet 1789. Il ne pourrait donc s'agir que de son père, qui a été vers ce temps maître de chapelle à St Eustache de Paris.
********Le Maître de Musique, méthode en trois parties, publiées d'abord en 1839, puis en 1845 (cette fois par la famille de M. CHENET, atteint d'une mort prématurée). A Auxerre, chez Guillaume MAILLEFER.
*********Désirant continuer mes recherches sur l'histoire musicale du département tout entier, je prie les membres titulaires ou correspondants de la Société Historique, d'avoir l'obligeance de me communiquer les documents qu'ils pourraient avoir. Je leur serai fort reconnaissant de pareils secours.

 




Bulletin de la Société des Sciences
Historiques et Naturelles de l'Yonne
128ème volume, année 1996


PAUL BERTHIER (1884-1953)
JACQUES BERTHIER, SON FILS (1923-1994)
DEUX COMPOSITEURS AUXERROIS
CONTEMPORAINS

Par Antoine DEMEAUX

...

LA MUSIQUE, CHEZ NOUS, AUTREFOIS

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          Vers le milieu du IXème siècle, vivait à l'abbaye Saint Germain d'Auxerre un moine nommé Héric qui, outre la prière liturgique, passait la majeure partie de son temps à professer. L'une des parties les plus importantes de son enseignement était la musique sacrée. Depuis saint Ambroise et saint Grégoire, la musique occupait une grande place dans le culte chrétien. Chaque abbaye s'efforçait de former des chanteurs et des musiciens distingués. C'est ainsi que le moine Héric composa le chant d'un office en l'honneur de saint Germain, si beau selon ses contemporains, qu'au Xème siècle on le chantait encore à Auxerre et qu'au XIIème siècle l'église d'Autun l'avait adopté en entier et en fit même usage pour la fête de saint Lazare. Un élève d'Héric, Rémy, lui aussi moine à saint Germain d'Auxerre, fonda à Paris des cours publics de théologie et de musique. Faut-il parler de ces noms à peu près oubliés aujourd'hui d'Hubald, Foulques ou saint Odon de Cluny ? Ces hommes sont pourtant les principaux représentants du grand mouvement artistique, particulièrement musical, qui s'accomplit en Europe et surtout en France, vers la fin du IXème siècle et le commencement du Xème siècle. C'est à cette époque que les études musicales se multiplient, s'universalisent avec un élan incontestable qui a frappé d'étonnement tous les historiens. L'enseignement musical s'élève à la hauteur d'un enseignement scientifique. Et c'est de la grande abbaye Saint Germain d'Auxerre que partit la plus notable impulsion et que le progrès se répandit dans toute l'europe occidentale.
          Selon l'historien Lebeuf, Hugues de Noyers, évêque d'Auxerre au XIIème siècle, doit être compté parmi les compositeurs de musique sacrée les plus influents. Ses biographes qui étaient aussi ses contemporains, disent de lui : "Cantica componebat et cantus" (Il composait chants et cantiques). Il en est de même pour Erard de Lézigne, évêque sous Philippe le Hardi, désigné comme grand amateur de musique sacrée, tandis qu'une certaine décadence se manifeste fin XIIème siècle avec Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, qui composa la fameuse messe de l'Ane.
          La bibliothèque d'Auxerre possède un missel auxerrois du XIIème siècle qui, bien que s'éloignant beaucoup de l'antiphonaire grégorien, prouve que la musique religieuse était en honneur chez nous à cette époque.

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          Dans les dernières année du XVIIIème siècle, la chapelle d'Auxerre compte encore un nombreux personnel, vieilli pour la plupart dans la carrière musicale. Et vient la Révolution de 1789 qui, établissant à la cathédrale le culte de la déesse Raison, n'a pas d'hymne à entonner en l'honneur du nouveau rite.
          Le XIXème siècle maintient, cependant la flamme vacillante avec un certain M. Chenet qui publie en 1839 un petit traité musical qu'il intitule : "Le Maître de Musique". C'est une méthode en trois parties, dans laquelle il a cherché à populariser l'étude de la musique en général, celle du plain-chant en particulier.
          Parallèlement, s'est développée, à cette époque, une musique dite populaire, c'est-à-dire celle que nous connaissons au travers des fanfares, harmonies ou chorales. Elle a vu ses premiers élans donnés par Eugène Delaporte, dès 1848. Dans son traité de "La musique populaire dans l'Yonne" de 1850 à 1870, Bernard Mameron écrit : "Un immense espoir de voir la musique enfin reconnue chez nous et pratiquée avec ardeur se lève un peu partout"... Des fêtes de la musique sont organisées et, depuis le Festival de musique organisé en 1852 à Villeneuve-sur-Yonne, le sous-préfet de Sens écrira au préfet de l'Yonne à Auxerre : "Je crois, Monsieur le préfet, qu'il y a un excellent parti à tirer des corps de musique. Propager les institutions musicales dans les campagnes serait un moyen d'adoucir les moeurs, d'éloigner les cultivateurs des cabarets et de les soustraire à la propagande du socialisme. Le Conseil Général ferait acte de bonne politique en votant un crédit destiné à l'encouragement des sociétés musicales"...
          Plus tard, en 1861, un certain Richet, dont le titre d'inspecteur de chant dans les écoles l'autorise à visiter les 250 classes du département, pourra écrire : "Dans l'ensemble, l'enseignement du chant est satisfaisant. Les classes pourvues d'un orgue obtiennent de biens meilleurs résultats ! Et il préconise l'attribution de subventions pour acheter des orgues pour toutes les écoles du département.

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La cathédrale
Notes d'art et d'histoire
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