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... A l'époque où s'opérait ce mouvement
considérable de retour à cette architecture qui avait brillé d'un si vif éclat dans la Grèce antique, et
jouissait de tout le prestige qu'inspire la nouveauté, c'est-à-dire au commencement du XVIème siècle, la
cathédrale d'Auxerre était bien près d'être arrivée à l'état où nous la voyons maintenant. On travaillait
activement à la construction de la tour qui ne fut achevée qu'en 1543. Le portail latéral nord, dit de St
Germain, venait d'être terminé et décoré de verrières splendides, par les soins de François 1er de
DINTEVILLE, qui y avait fait mettre ses armes. La chapelle St Georges, la dernière de la nef du côté
droit, où sont aujourd'hui les grandes orgues, venait également d'être achevée. La première chapelle
de la nef du côté gauche n'existait pas encore, sa construction en avait été différée pour maintenir au pied
de la tour un espace libre suffisant pour son édification complète ; elle ne fut construite que plus tard et
ne reçut même sa verrière que vers 1630. Ces deux chapelles furent construites dans le style de la Renaissance,
avec fenêtre en plein cintre.
Pendant la même période l'église d'Auxerre fut
gouvernée par deux évêques : François de DINTEVILLE, succédant à Jean BAILLET, de 1514 à 1530, et François de
DINTEVILLE, deuxième du nom, son neveu, qui mourut le 27 septembre 1554. Ces deux prélats, mais surtout le
second, amis des arts et artistes eux-mêmes, enrichirent la cathédrale d'uvres de sculpture et de peinture
remarquables. En 1543, François II consacra à ces travaux une somme importante, dont partie fut employée à
orner les piliers de l'église de sculptures brisées par les Huguenots en 1567, et partie en peintures à
fresque. Il reste de cette époque un tableau sur bois représentant la lapidation de St Etienne, que M. Victor
PETIT, dans l'ignorance de son origine, attribuait à Jean COUSIN¹, mais qui
est l'uvre du chanoine Félix CHRESTIEN².
Placé du temps du Chapitre dans la chapelle de la
Vierge, alors de St Alexandre, il y était bien en évidence ; il vient d'être relégué dans la première chapelle
de la nef, côté gauche, endroit peu favorable pour en faire ressortir le mérite.
François II fit peindre à fresque sa chapelle. Des
restes de cette peinture se voient encore près de la porte d'entrée. Il fit représenter dans la chapelle de St
Sébastien, la dernière à gauche de la nef et attenant au transept, les portraits des évêques d'Auxerre vénérés
comme saints dont l'office se célébrait. Il applique enfin tous ses soins à faire de la chapelle St Georges
un véritable bijou en la faisant couvrir entièrement de peintures, aujourd'hui bien endommagées, sauf la voûte
peinte en bleu semée d'étoiles d'or et les nervures de la même couleur relevée d'un filet rouge et or. Sur un
des côtés de cette chapelle est représentée la scène de la transfiguration. Le Christ est de grandeur naturelle,
la tête nimbée de rayons d'or et étendant les bras au-dessus de deux personnages en adoration personnifiés l'un
par le mot HELIAS, l'autre par celui de MOISES. Au-dessous on lit en caractères gothiques, ce passage de St
Mathieu :
"Visi sunt Moises et Helias loquentes cum co in maiestate sua"
Sur une autre face, entre la fenêtre et l'arcature
donant sur le transept, qui fut détruite pour faciliter la pose de l'orgue, lorsque le Chapitre le
transféra en 1768, dans cette partie de l'église, on pouvait voir recemment encore, dans un assez mauvais état
de conservation et couvert de la poussière des siècles, c'est bien le cas de le dire, une série de médaillons
disposés sur deux rangs, au-dessus les uns des autres, d'un diamètre de 83 centimètres, chacun représentant un
buste de femme dans une attitude et avec des attributs particuliers. Une légende écrite en caractères gothiques de
3 centimètres de hauteur pour chaque médaillon, en même temps que le nom de la Sibylle qui y est représentée,
l'objet de sa prédiction.
Dans le premier, le seul qui soit assez bien conservé,
est figuré une jeune femme ayant la main gauche ouverte et portant de sa main droite un cierge allumé. Au-dessous
on lit :
"Sibile Sibica aagée de XXIV ans a predit que JHS pour humain lignage viendroit rempli du saint Christ". {C'est certainement Saint Esprit}
Dans le second, une jeune fille est représentée
tenant d'une main une conque marine (biberon) avec la légende :
"Sibile Cymeria aagée de XVIII ans a dit que la Vierge alectera son enfant, sans nul contredit".
Les autres médaillons sont ou effacés ou couverts de
poussière, on ne peut lire que les trois légendes suivantes :
"Sibile Cumana n'avoit que XV ans d'aage parfaicte, la nativité présidoit de JHS, souverain pontife".
"Sibile Europa aagée de XV ans recite que l'humble Vierge pucelle et son fils fuirent en Egypte".
"Sibile Erythrea de l'aage de XXV ans ; comment l'ange Gabriel prouva de la Vierge l'enfantement".
Qui ne reconnaîtra dans le style à la fois assez
naïf et gracieux de ces inscriptions, ce vieil idiome du XVIème siècle, incomplètement dégagé des tournures et
des expressions latines qui devait un siècle plus tard parvenir à un degré de perfection qui n'a pas été dépassé
depuis.
Si l'on parcourt les bas-côtés du choeur, à gauche,
on peut y voir, non sans étonnement, une série bien curieuse de têtes ; les unes, et c'est le plus grand
nombre, d'un noble caractère, les autres grimaçantes et affligées d'une laideur repoussante comme pour stigmatiser
les vices, dont elles sont les emblèmes.
On peut aussi y voir trois gracieuses têtes de jeunes
filles, l'une couronnée d'un riche diadème, les deux autres de feuillage, au-dessus desquelles l'artiste, pour
écarter toute incertitude sur leur personnification, a gravé le mot sibilla en caractères usuels du XIIIème.
Il y a là un témoignage irrécusable que dès cette époque l'Eglise affirmait par des monuments publics sa vénération
pour ces vierges inspirées.
Autrefois comprises des foules, ces charmantes figures
sont inaperçues aujourd'hui des visiteurs indifférents qui réservent toute leur admiration pour celles portant
un masque grotesque sur lesquelles s'est exercée l'imagination de l'artiste.
Quant aux médaillons de la chapelle St Georges, ils ne
pouvaient être connus avant la pose des orgues actuelles que de rares personnes. Maintenant que cette
chapelle est complètement remplie des tuyaux de l'orgue, il est impossible de les apercevoir, et si jamais
on donne suite au projet malheureusement abandonné de transférer l'orgue au-dessus de la porte d'entrée,
ils apparaîtront à nos descendants comme un souvenir précieux à conserver d'une des époques les plus fécondes en
oeuvres artistiques religieuses et profanes.
¹ Victor PETIT, Guide pittoresque dans la ville d'Auxerre,
1858.
² LEBEUF, Hist ecclesiast. et civile d'Auxerre, p. 588
et 598.
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