Première partie

Chapitre troisième


     Il ne s'est rien passé, apparemment, jusqu'en 1767. Cette année là des


"Devis et dessins des ouvrages à faire pour
l'église cathédrale de St Etienne d'Auxerre"

     L'an mil sept cent soixante cinq le douze may...


A l'Orgue

     Seront faittes les réparations nécessaires à l'orgue pour le mettre en état de subsister dans la place où il est. Différant l'augmentation projettée au temps où les fonds permettront la construction d'une nouvelle tribune pour recevoir un orgue plus complet ce que nous estimons quand à la réparation actuelle valoir la somme de trois mille livres.



ADY G 1284
Le 13 juillet 1767, dans le Registre des Délibérations du Conseil de Fabrique :

     "Messieurs ont chargé Mr le Chantre d'écrire à un facteur d'orgue proposé par un religieux bénédictin et lui ont donné tout pouvoir de passer avec ledit facteur le marché de l'entreprise des ouvrages à faire à l'orgue, à tel prix qu'il jugera à propos et au meilleur prix qu'il pourra".



ADY G 1803
Du samedi 25 juillet 1767 :

     "Mr MIGNO dit qu'il avoit fait avec le facteur d'orgue un marché de 3200 livres pour racommoder celui de la Cathédrale. Messieurs l'ont remercié et autorisé à passer ledit marché".



ADY G 1803
Du lundi 21 décembre 1767 :

     "Mr le Fabricien a représenté que le facteur qui travaille actuellement à réparer l'orgue de cette église lui avoit abservé que le son de l'orgue devenant plus fort par les réparations et augmentations qu'il y fait de plusieurs jeux, il n'en pouvoit résulter qu'un effet incommode pour le Choeur, s'il restoit dans le plan où il est, et qu'il conviendroit de le transporter dans quelque autre endroit de l'église...".
     "Messieurs ont conclu que n'ayant pas pour le présent des fonds suffisant pour transporter ledit orgue au-dessus de la porte principale de leur Eglise, où est sa véritable place, il sera dès à présent placé dans la Croisée du côté du midi au-dessus de la Chapelle de St Georges à l'endroit où est actuellement un ancien horloge".



ADY G 1803

     Cet horloge avait été établi en 1401 aux frais du chapitre. { Mon absence totale de connaissances en paléographie des écritures des XVème, XVIème et XVIIème siècles, ainsi qu'une ignorance totale du latin, ont été un frein certain dans toutes mes recherches. }
     Il ressort de cette remarque, que je fus dans l'impossibilité de trouver des documents relatifs à cet(te) horloge. (début du XVè s.)
     (Adrien LEPINE, arrivé à Paris en 1758, semble trouver du travail à l'ombre de F.H. CLIQUOT, dont il épousa la soeur dix ans plus tard. En 1767, il restaura l'orgue de la cathédrale d'Auxerre...)
     L'orgue avec son buffet fut transporté dans l'état où il était et dès le 5 février 1768 le travail était terminé. Mais une déception attendait la Compagnie : il se trouva qu'il n'était plus assez puissant à cause de son éloignement ; ce qui contraignit le facteur à ajouter trois nouveaux jeux.

Du 8 février 1768
     "M. le Chantre a représenté que lorsqu'on avoit fait marché pour racommoder l'orgue il n'étoit pas déplacé, et qu'étant actuellement hors du choeur il en étoit convenable d'en augmenter certains jeux. Messieurs après en avoir délibéré ont conclu de s'en rapporter à lui sur cette augmentation et lui ont donné tout pouvoir de traiter avec le facteur après avoir pris du Sr PALAIS, organiste, les lumières dont il auroit besoin sur cet objet".




ADY G 1803
Du lundi 15 février 1768

     "M. le Fabricien a dit que le facteur d'orgue lui avoit présenté qu'il seroit à propos de mettre en couleur le buffet d'orgue nouvellement construit, non seulement pour la propreté, mais à cause des différents bois qui le composent, dont partie est vieux et l'autre neuf. Messieurs après en avoir délibéré ont conclu à ce que ledit buffet d'orgue soit mis en couleur de détrempe seulement, avec un vernis par dessus et non à l'huile".



ADY G 1803

     Ce fut un malheur mais cependant réparable que cette translation de l'orgue dans cette partie de l'église, qui perd de ce fait une partie de sa valeur architecturale. Quoi de plus disgracieux en effet, et de plus mauvais goût que cette sorte de pyramide renversée recoouverte en plâtre qui supporte le buffet de l'orgue.




L'orgue de 1768 dans son état de 1900
photocopie de photocopie de photocopie... d'une photo de 1900


Du lundi 18 avril 1768
     "Messieurs ont aussi conclu que Messieurs les Commissaires proposés aux décorations et réparations donneront au facteur un certificat de leur satisfaction particulière pour l'ouvrage qu'il a fait à l'orgue en leur église".



     Il est à noter que cet orgue servait alors de diapason aux fondeurs de cloches.  Un acte conservé dans les registres paroissiaux de Surgy (Nièvre), relatif à la bénédiction de 4 cloches fondues par  J.B. Cochois et son cousin , du même nom,  signale que les 3 plus grosses cloches forment "les 3 nottes ou sons de la, si bémol et ut aigu à l'orgue d'Auxerre , les mesures prises selon les règles des mathématiques par M. Baylac, prieur curé de Villefargeau (Yonne)... "
(Année 1768).(Communication de M. H.Forestier)


ADY G 1804
Du mardi 4 avril 1769

     L'orgue ayant été endommagé par les pluyes et le facteur se trouvant en cette ville, il a été conclu qu'on le feroit racommoder au meilleur marché qu'on pourroie.

Du vendredi 12 avril 1771
     Palais ayant pris soin de l'orgue et ayant fait quelques dépenses Messieurs lui ont accordé soixante livres tant pour indemnité que pour gratification et ont conclu qu'il lui sera délivré un mandement de ladite somme sur leur Receveur général.




ADY G 1803
Réception des ouvrages faits pour le Chapitre d'Auxerre
L'an mil sept cent soixante et quatorze Le trente octobre
     A été fait le Tampon du Buffet d'orgue et les rétablissements nécessaires et convenables pour le remettre en état.

     La chapelle St Georges est complètement défigurée par un plafond qui dérobe à la vue sa riche voussure et sa fenêtre, dont on n'aperçoit que la partie inférieure.
     Cette chapelle où l'on peut voir une fresque assez bien conservée, représentant les Sybilles, dans une série de médaillons accompagnés d'inscriptions en caractères gothiques fut fondée par un chanoine du nom de LE MARCHAND, mort en 1579. Sur les piliers apparaissent encore des traces de peinture et la voûte au-dessus de l'orgue est peinte en bleu. C'est dans cette chapelle que se trouvai tprimitivement le monument élevé à la mémoire de M. VIARD transporté au croisillon sud du transept depuis que le grand orgue est établi dans la chapelle de St Georges.
     L'organiste ne peut voir l'autel et suivre les différentes parties de l'office. Enfin l'exiguïté de l'emplacement rend toute amélioration impossible.>




ADY G 1805
4 février 1774

     La pluye ayant gâté les tuyaux de l'orgue, Messieurs ont chargé M. le Chantre de faire prix avec le facteur pour les racommoder.

Du lundi 24 avril 1775
     Le basson du chapitre n'étant plus de service Messieurs ont résolu de l'envoyer à M. Pelare à Paris avec commission de l'échanger ou d'en acheter un autre.

Du mardi 2 mai 1775
     ... Messieurs souhaitaient que les anciennes conclusions qui deffendent l'usage du tabac pendant l'office divin mais ne pourraient l'espérer de ceux qui ont contracté l'habitude, ils leur deffendent d'en offrir aux autres et de leur en demander.

Du vendredi 5 mai 1775
     Le Chantre a été chargé avec le Sieur PALAIS organiste de traiter avec le facteur d'orgue établi à Auxerre pour la somme que ledit facteur exigera par an pour avoir soin de l'orgue.
     Il s'agit de René Cochu dont on connait les interventions en 1777 à St Bris le Vineux, en 1777-78 à Noyers (Yonne)

(GARDIEN J.)Toutes les citations de Gardien sont de ADY 8 RES 1430 in L'orgue et les organistes en Bourgogne et Franche-Comté au XVIIIè siècle.





 
 

Quelques

...

documents
 


Si un jour j'en ai les moyens, je paierai les droits de publication des photos d'archives



 
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cités

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Fin de la première partie


Corrections & Additions




 

Portaits imaginaires

DENYS L'AUXERROIS


     ... Le récit qui va suivre est une légende étrange et assez précise de retour d'un âge d'or, ou doré par la poésie (...), qui survint dans une vieille cité de la France médiévale.
     De la ville française proprement dite, dans laquelle les vestiges des siècles successifs, et quelques notes joyeuses du présent, se fondent harmonieusement en une beauté spécifique --une beauté cisalpine et septentrionale, bien distincte pourtant du massif pittoresque germanique d'Ulm, de Fribourg et d'Augsbourg, et dont Turner a trouvé l'idéal dans certaines de ses études de France, car une conjonction heureuse de rivière et de ville fait l'essentiel de sa physionomie-- la ville d'Auxerre constitue peut-être l'exemple le plus parfait à proposer au voyageur moderne. Elle est certainement, au point de vue du pittoresque, la plus expressive d'un groupe de trois villes remarquables de la région, -- Auxerre, Sens et Troyes,-- dont chacune se presse, comme de propos délibéré, autour de la masse cnetrale d'une immense cathédrale grise.
     ... Auxerre ! une pente légère sur la route sinueuse, et voici devant vous la plus jolie ville de france ; le large cadre des vignes, semées dans le lointain de blanches chaumières qui incitent à la marche, monte en pente douce vers l'horizon ; au-dessous c'est la boucle molle la rivière avec tous les détails de ses quais, et dominant la foule des maisons, plus abruptes, plus irrégulières qu'aucune autre église de France, les vastes masses à tuiles rousses de Saint-Germain, de Saint-Pierre et de la cathédrale Saint-Etienne. Sujet tout fait pour cet artiste rare qu'est un bon peintre de monuments, s'il comprend la valeur des masses et des lignes, des masses énormes et des lignes délicates.
     ... Pour bien remplir les heures d'une de ces après-midi où la pluie, tôt venue, interdisait toute promenade, je me dirigeai vers la boutique d'un vieux brocanteur. Ce n'était pas de ces exhibitions monotones copiées sur celles des magasins parisiens, d'un fond de boutique que l'on a vu partout, mais une collection choisie de curiosités véritables. On reconnaissait la tradition de la province en maintes reliques de la vie domestique du siècle précédent, et en nombreux bijoux des époques antérieures, tirés des vieilles églises et des maisons religieuses du voisinage.
Il y avait, entre autres, un important et éclatant fragment de vitrail, qui pouvait provenir de la cathédrale même. D'une rare qualité de couleur et de dessin, il représentait un personnage difficile à rapporter à aucun type connu, et faisait manifestement partie d'une série. A mes instantes questions sur ce qu'il avait pu advenir du reste, le vieillard répondit que l'on n'en savait rien, mais ajouta que le curé d'un village voisin possédait toute une suite de tapisseries évidemment destinées à une église, et qui représentait l'ensemble du sujet dont le vitrail en question ne formait qu'un détail.
     Le lendemain, je me rendis aupresbytère, petite bâtisse gothique toute proche de l'église du village, et partie sans doute d'un ancien chateau... Le prêtre mit beaucoup de courtoisie à me montrer ses tapisseries dont certaines, pendues au mur du parloir et de l'escalier, servaient de fond aux autres curiosités de sa collection. Incontestablement, vitrail et tapisseries représentaient le même sujet. On retrouvait, sur les unes et sur l'autre, les mêmes instruments de musique, pipeaux, cymbales et trompettes en forme de roseaux. Et il y était question d'un orgue en construction, instrument de tout point semblable, mais sur une plus grande échelle, à celui qui se trouvait dans la bibliothèque du vieux prêtre, et demeurait maintenant presque sans voix, tandis que sur certains des panneaux tissés, les auditeurs semblaient enchantés par la musique de l'instrument qu'ils acclamaient même d'enthousiasme. Et partout, entre les complexités délicates de toutes ces scènes, semblait régner une sorte de fole véhémence, danses vertigineuses, bondissements de faunes, et éternels festons de vigne... C'était le constructeur de l'orgue lui-même, jeune homme blond et fleuri que l'on voyait tantôt presque nu parmi les pampres, tantôt emmitouflé de fourrures, pour se protéger du froid, tantôt en robe de moine, mais qui laissait toujours une impression de réalisme frappant et en rapport singulier avec le caractère des rues d'Auxerre. De qui s'agissait-il ? C'était evidemment, malgré sa grâce et la richesse du décor, un être douloureux et tourmenté. Avec toute la beauté classique d'un dieu païen, il avait souffert des tortures sans doute inconnues à ces dieux... C'est avec cette idée, en recourant aux notes trouvées dans l'intéressante bibliothèque du prêtre, touchant l'histoire des travaux accomplis dans la cathédrale à l'époque de son achèvement, et à la suite d'études répétées des vieilles tapisseries, que je sentis la vérité se faire jour dans mon esprit.
     Vers le milieu du XIIIème siècle, tout le gros oeuvre de la cathédrale Saint-Etienne était achevé ; il ne restait plus à élever que la grande tour, et à pousser tout ce travail final de décoration qu'une seule génération ne pensait pas devoir mener à bien. Et cependant, certaines circonstances, un peu confuses encore déterminèrent un achèvement rapide, et quasi instantané des travaux, qui n'en gardèrent pas moins un caractère remarquable de richesse et de grâce. De cette décoration une bonne partie fut détruite, ou transférée en d'autres lieux ; mais il en subsiste des vestiges somptueux sous forme de vitraux et surtout de sculptures très délicates des portails de l'ouest, taillées dans la belle pierre dure de Tonnerre (Yonne NdA)dont le temps n'a fait que dorer la surface...
     ... Une étrange coutume se perpétuait à Auxerre. Le dimanche de Pâques, les chanoines jouaient solennellement à la balle en plein centre de la vaste église. (NdA. Légère erreur, c'est au niveau de la première travée, là où était le labyrinthe -depuis disparu- proche des grandes portes que se situait la fête, d'après les textes d'époque) Après vêpres, au lieu de reconduire l'évêque à son palais, ils se rendaient en cortège dans la nef, au milieu de l'affluence des fidèles qui se rangaient de part et d'autre pour les regarder. Retroussant à demi leurs soutanes, les clercs attendaient leur tour en silence ; le chef des enfants de choeur lançait la balle en l'air, aussi haut qu'il le pouvait, sous la voûte de la nef principale, et ses camarades s'eforçaient de la rattraper ; celui qui y avait réussi la relançait de la main ou du pied vers l'un des chantres majestueux, des chapelains ou des chanoines même, qui s'adonnaient au jeu avec tout le décorum d'une cérémonie ecclésiastique. C'est au moment même où les prêtres se relançaient la balle avec tant de solennité que Denys --Denys l'Auxerre comme on l'appela plus tard-- fit sa première apparition. Bondissant au milieu des enfants intimidés, il fit de la cérémonie une aprtie véritable. Les enfants se mirent à jouer comme des enfants, les hommes comme des fous, et tous avec un bel enthousiasme qui se communiqua bientôt aux clercs, puis aux spectateurs mêmes. Le vieux doyen du chapitre, protonotaire de sa Sainteté releva un peu sa soutane et, s'avançant avec une vivacité stupéfiante comme s'il eut été soudain allégé du poids de ses quantre vingts ans, lança du pied la balle au vénérable prêcheur capitulaire, qui sut se montrer à la hauteur de la situation. Après quoi les laïques, incapables de demeurer plus longtemps inactifs, se mêlèrent au jeu avec des cris de joie plus ou moins étouffés, et prolongèrent la partie jusqu'à ce que la pénombre de l'église empêchât de dsitinguer la balle.
     ... On éprouvait, par-dessus tout autre, à lépoque, le désir de créer les instruments d'une musique sacrée plus ample et plus variée que l'on en avait pu faire encore, d'une musique qui put traduire toute l'expansion des âmes dorénavant muries. Auxerre, dès cette époque, était, comme elle le fut plus tard, renommée pour sa musique liturgique. Ce fut Denys à qui revint, en définitive, l'idée de combiner en une masse musicale élargie tous les instruments alors en usage. Comme l'ancien dieu du vin, il avait aimé et pratiqué la musique des pipeaux sous toutes leurs formes. Ici encore se manifestèrent trois époques ou "modes" de son influence : d'abord, c'est le mode simple et pastoral, la note familière du chalumeau, pareille au souffle de la brise sur les campagnes lointaines ; puis le fracas frénétique et sauvage, effroi des gens rassis, qui avait affolé les coeurs sensibles. Enfin, il s'efforça de faire concourir toutes ces formes à de plus douces fins, et la construction du premier orgue devint le véritable livre de sa vie, et traduisit toute sa nature dans ses délices et ses détresses. En de longues journées heureuse de vent et de soleil, le frère apparemment simple d'esprit chercha et trouva sur les berges de la rivière les espèces de roseaux nécessaires. Sous sa direction, les charpentiers construisent les gros tuyaux de bois pour déchaîner les tonnerres, cependant que de petites flûtes de carton imitaient le son de la vois humaine et répondaient aux notes victorieuses des longues trompettes de métal. Parfois, aux gens qui entendaient nuit après nuit ces sons discordants, tout ce bruit faisait l'effet d'un travail de dément, mais de temps en temps c'étaient les bribes d'une musique incontestablement nouvelle qui les arrachaient à leur sommeil et les émerveillaient. Le roseau, triomphait, à tous ses degrés de puissance, assoupli, unifié, assagi. Mais sur les panneaux décorés de l'orgue, Appolon, lyre en main, et maître des cordes, semblait écouter sans bienveillance la musique des roseaux et sentir renaître la jalousie qui avait si cruellement fait meurtrir Marsyas.
     ... Cependant les vents de son orgue étaient prêts à souffler, mais ce n'est pas sans peine qu'il obtint du chapitre l'autorisation d'éprouver leur puissance à l'occasion d'une grande cérémonie. Voici en quelles circonstances. On attendait à Auxerre un hôte de marque. En récompense de quelques service rendu au chapitre, le sire de Chastellux se paraît héréditairement de la dignité de chanoine de l'église. Au jour de sa réception il se présentait à l'entrée du choeur, revêtu, par-dessus son attirail guerrier, du surplis et de l'amict. Le vieux comte de Chstellux étant récemment décédé, son héritier avait annoncé sa visite, pour se prévaloi, selon la coutume, de son privilège ecclésiastique. Il y avait eu longtemps rivalité entre les maisons d'Auxerre et de Chastellux, mais, en cette occurence, une offre de réconciliation sous la forme d'une demande de la main de dame Ariane.
     Le beau jeune homme se présenta et, dûment équipé, fut, aux vêpres, installé dans sa stalle, en présence de l'évêque. C'est alors qu'avec des sentiments de délices variés, la foule entendit pour la première fois la musique de l'orgue rouler sur sa tête. Mais l'exécutant et constructeur de l'instrument passa inaperçu, l'ancien favori ne retrouva point sa popularité. La cérémonie fut suivie d'une fête civile par laquelle Auxerre accueillait son futur maître.
     ... Ainsi s'expliquait la figure du vitrail et Denys me paraissait avoir réellement vécu à Auxerre. Par des jours d'une atmosphère spéciale où les traces du moyen âge ressortent comme les vieilles marques sur les pierres lavées par la pluie, je me figurais avoir réellement vu le personnage douloureux, avoir rencontré dans les rues Denys l'Auxerrois.

W.P. 1887





 



 

Article paru dans le Quotidien Régional d'Information

L'YONNE REPUBLICAINE

 
 

     Bien que, quatre siècles après sa mort, on s'émerveille encore de l'étendue de son talent, bien qu'il vécut en une époque haute en couleur et qu'il y tint les premiers rangs, Jacques Amyot fut en son temps un évêque d'une grande tristesse, solitaire et discret. De santé chancelante, il peinait à marcher et ne pouvait longtemps rester debout. Sa voix était faible et, malgré les qualités acoustiques de la cathédrale d'Auxerre, on entendait très mal ses homélies.
     Jacques Amyot, surtout, souffrait de n'être pas aimé : les Auxerrois toujours le boudèrent, beaucoup le haïrent.

 

     A plusieurs reprises il fut injurié et bousculé et faillit deux fois être lynché. Lui qui avait dîné à la table des rois, les conseillait et éduquait leurs enfants, se retrouva, au fil des ans, aux frontières de la misère et comme exilé en plein coeur de la ville qu'il aimait.
     Il se consolait de l'ingratitude des vivants en fréquentant les grands penseurs de l'Antiquité, qu'il passait ses jours et ses nuits à déchiffrer : le latin et le grec devinrent pour lui des langues familières et c'est en elles qu'il pensait. Mais, à trop interroger les vieux manuscrits, la fatigue embrumait vite son regard

 
 

et son cerveau. Lorsque ses pensées se troublaient, lorsqu'il se lassait de l'étude ou de la méchanceté des hommes, Jacques Amyot trouvait refuge dans son ultime consolation, le seul authentique plaisir de sa vie : la musique, sa passion !
     Chaque soir, très tard, il pénétrait à pas lents dans son immense cathédrale déserte, s'asseyait dans son fauteuil épiscopal et inclinait la tête entre ses mains. Sa méditation s'effilochait lentement en un songe de plus en plus vaporeux puis son esprit se dissolvait dans la pénombre.
     Encadrés de chandeliers, des chanoines musiciens attendaient au pupitre de l'orgue et, très doucement, d'abord pour leur seul auditeur, libéraient les premières harmonies de leur concert quotidien. Puis les volumes s'enflaient, les contrastes s'amplifiaient, et la grande voûte résonnait bientôt des prouesses de l'instrument. Attentif à leurs claviers, à leurs manettes, à leurs pédaliers, les organistes distillaient pour Jacques Amyot les rumeurs et déversaient les tonnerres de leur myriade de soufflets et de tuyaux.
     Les grandes orgues de la cathédrale étaient un fantastique monument sonore, un des plus prodigieux chefs-d'oeuvre de l'art et de la technique musicale. Des générations d'artisans aux doigts de fée s'étaient succédé pour doter notre cité d'un instrument que tout l'Occident nous enviait.(1) Ses sonorités étaient extraordinaires ; il soupirait d'imperceptibles nuances mélodiques qui s'évaporaient jusque dans les moindres recoins de l'immense bâtiment ; quand il déchaînait sa puissance, le sanctuaire entier vibrait et tressaillait. L'orgue savait soupirer et chuchoter, exhaler des grondements caverneux, ou exploser en une cataracte d'effrayants rugissements. C'était un assemblage gigantesque et délicat de... sept mille tuyaux, certains aussi fins qu'une paille et d'autres des troncs monstrueux !(2)
     Chaque soir, dans sa nuit trouée seulement de la lueur de quelques bougies, seul, Jacques Amyot laissait ainsi son esprit se dissoudre dans les murmures et les fracas des grandes orgues de la cathédrale. Chaque soir, jusqu'à cette aube fatale du 28 septembre 1567...
     L'évêque avait dû partir en voyage, quelque part dans le royaume. La ville et la campagne respiraient la sérénité, dans une automne d'"une grande douceur". Dans la nuit du 27 au 28, par surprise et avec la complicité de quelques huguenots de la ville, Auxerre fut conquis par une armée protestante.
     Au matin, les vainqueurs convergèrent vers la cathédrale et l'évêché pour les mettre à sac. A grands coups de pic et de masse, ils jetèrent bas les statues, défoncèrent les dalles pour exhumer les évêques qui dormaient là de leur dernier sommeil, et jeter leurs cadavres aux quatre vents. Ils brisèrent les vitraux.
     Puis ils s'attaquèrent aux grandes orgues, leur arrachant des tintements de douleurs sous une grêle de gravats. On trouva vite des échelles et les soudards se hissèrent là-haut pour frapper rageusement. Les tuyaux les plus frêles dégringolèrent comme une gerbe déliée ; il fallut desceller les plus gros, qui basculèrent lentement et explosèrent sur les dalles à grand fracas. Le monument musical, défoncé, effondré pan à pan, hurlait à chaque choc comme une bête à l'agonie, submergeant de son tonnerre le rire des soldats.
     Quelques mois plus tard, Auxerre se révolta et chassa les protestants, et Jacques Amyot revint. C'est à grand peine qu'il put se frayer un chemin dans sa cathédrale jonchée de gravats. Le coeur serré de désespoir, il resta de longues heures à contempler l'enchevêtrement des morceaux des sept mille tuyaux éventrés, tristes épaves désormais silencieuses des grandes orgues à jamais disparues.

André SEGAUD


Article paru fin décembre 1990 ou début 1991


(1) J'aurais eu un immense plaisir à trouver des références relatives à l'étendue de cette notoriété, mais à ce jour (2004) ce n'est pas le cas.
(2) Ils ne devaient pas être aussi gros que le St Christophe qui était devant le 1er pilier de droite en entrant. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu un 32' !
 

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